Jeux et enjeux de la violence verbale en milieu scolaire

قضايا العنف اللفظي في الوسط المدرسي.

Issues of verbal violence in schools

Hocine Youcef و Jamel Zenati

للإحالة المرجعية إلى هذا المقال

بحث إلكتروني

Hocine Youcef و Jamel Zenati, « Jeux et enjeux de la violence verbale en milieu scolaire », Aleph [على الإنترنت], 7 (4) | 2020, نشر في الإنترنت 08 décembre 2020, تاريخ الاطلاع 29 mars 2024. URL : https://aleph.edinum.org/3262

Cet article s'efforce de mettre en débat, d'un point de vue interactionnel, le phénomène de la violence verbale dans le contexte de l'interaction pédagogique-didactique connue par la forte asymétrie qui la caractérise. Pour ce faire, il nous semble important d'aborder les questions qui motivent l'apparition de la violence verbale dans un espace aussi standardisé que la salle de classe.

يسعى هذا المقال إلى مناقشة ظاهرة العنف اللفظي من وجهة نظر تفاعلية في سياق التفاعل التربوي المعروف باسم التباين القوي الذي يميزها نظرًا للعلاقة الهرمية التي تمثل التبادلات بين الجهات الفاعلة المختلفة التي هي المعلم و التلاميذ. للقيام بذلك، يبدو من المهم بالنسبة لنا معالجة القضايا التي تحفز ظهور العنف اللفظي في مساحة موحدة مثل القسم.

This paper strove to discuss from an interactional point of view the phenomenon of verbal violence in the context of the pedagogical-didactic interaction known by the strong asymmetry that characterizes it given the hierarchical relationship that marks the exchanges between the different actors whom are the teacher and the students. To do this, it seems important to us to address the issues that motivate the onset of verbal abuse in a space as standardized as the classroom.

Introduction

Aborder la question de la violence verbale dans le cadre des interactions pédago-didactiques implique nécessairement dans le questionnement qui la sous-tend de produire un discours sur les enjeux qui la motivent. Autrement dit, la relation interpersonnelle en situation de classe comme « toute relation, à partir du moment où elle est suffisamment investie par les partenaires qui y sont impliqués, est porteuse d’enjeux, au sens large du terme. C’est-à-dire que chacun cherche, à travers elle, à satisfaire certaines motivations […] et à atteindre certains buts […] » (Marc et Picard, 2008 : 88). Le présent article se propose donc d’étudier cette pratique langagière qui est la violence verbale dans un cadre si particulier à savoir l’interaction de classe. C’est donc tout naturellement que notre questionnement sera porté sur les enjeux de cette violence et les stratégies déployées pour son actualisation.

1. Cadre théorique et méthodologie

Appréhender la notion de la « violence verbale » et ses (en)jeux en milieu scolaire appelle nécessairement un recours à une approche éclectique susceptible de rendre compte de sa dimension relationnelle et interactive. En effet, étant une pratique langagière, la violence verbale ne peut être envisagée qu’au sein d’une interaction où « tout au long d’un échange communicatif quelconque les différents participants que l’on dira donc des interactants, exercent les uns sur les autres un réseau d’influences mutuelles […] » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 17). Ainsi, l’approche interactionnelle constitue pour nous un cadre théorique de prédilection étant donné qu’elle représente le carrefour où se croisent plusieurs théories. Ainsi, nous convoquons au cours de l’analyse la théorie des actes de langage d’Austin (1968) puis Searle (1969). La notion de face empruntée à Goffman (1973 ; 1974) sera l’une des notions de base sur laquelle s’articulera notre analyse, tout comme celle de la politesse linguistique de Brown et Levinson (1978 ; 1987). La relation verticale caractérisant l’interaction pédago-didactique appelle nécessairement le recours à la notion du rapport de place (Flahaut, 1978 ; Kerbrat-Orecchioni, 1992 ; Marc et Picard, 2008) qui procure à l’enseignant une position « haute » de dominant et l’élève une position « basse » de dominé. Toutefois, ce rapport de place se trouve parfois exposé à des tentatives de renversement générées par les situations de tension voire de violence verbale. N’oublions pas de citer les travaux du groupe de recherche1 sur la violence verbale ayant défini cette dernière comme « une montée en tension interactionnelle » (Moïse et al, 2008), mais aussi ceux (les travaux) portant sur la qualification péjorative (Laforest et Vincent, 2004).

Par ailleurs, les extraits qui seront soumis à l’analyse dans le présent article sont tirés d’un enregistrement audio d’une séance de français effectué lors d’une enquête que nous avons menée dans un lycée situé dans la banlieue d’Alger en 2009/2010 pour étudier le phénomène de la « violence verbale » dans le cadre des interactions scolaires symétriques et dissymétriques. L’enregistrement dont il est question a été réalisé dans une classe de première année secondaire et a fait l’objet d’une transcription orthographique.

2. Les enjeux relationnels

2.1 L’enjeu de pouvoir

Dans le domaine scolaire, « les statuts institutionnels ou professionnels des locuteurs ne sont pas dans un rapport d’égalité mais d’autorité » (Moïse 2012). Autrement dit, l’(en)jeu de pouvoir se fait sentir de façon permanente voire insistante eu égard à la forte dissymétrie caractérisant l’interaction pédago-didactique où l’enseignant occupe une position « haute » de dominant et l’élève une position « basse » de dominé. Cette inégalité est rendue évidente par des « taxèmes » (Kerbrat-Orecchioni, 1992) ou marqueurs permettant d’instaurer une distance entre l’enseignant et l’élève sur plusieurs plans, ce qui donne naissance parfois à un antagonisme entre deux discours contradictoires dont l’un vise la destitution de l’autre pour lui imposer sa logique de vérité, sa domination et l’autre la résistance voire même la déstabilisation et parfois le renversement du « rapport de places » (Kerbrat-Orecchioni, 1987 : 319), créant ainsi un désordre au niveau de la hiérarchie institutionnelle ce qui nourrit un climat de tension voire de violence verbale.

Exemple : (Il s’agit d’une séance de compréhension de l’écrit où l’enseignant procède à l’activité de lecture oralisée).

[…]
E1 : (Termine la lecture d’un paragraphe
Prof : Merci un autre / (un élève lève son doigt) oui
E2 :(Enregistre un petit retard
Prof : Fais vite↑
E2 : (Commence la lecture puis prononce mal un mot)
E3 : tauromachique (Corrige le mot)
Prof : Eh eh↑ t’as pas l’droit de lui corriger (la faute) / je suis là pour (la) lui corriger t’es pas l’prof / non / tu es un élève comme elle /d’accord / bien […]

L’extrait ci-dessus montre bien comment l’enjeu de pouvoir pèse énormément sur les pratiques langagières des deux acteurs de l’interaction de classe à savoir l’enseignant et l’élève. En effet, après avoir terminé la lecture d’un paragraphe, l’élève (1) désigné par l’enseignant est vite remercié par ce dernier comme signe de reconnaissance tout en désignant un autre élève pour procéder à la lecture du paragraphe suivant. Enregistrant un léger retard, l’élève (2) est vite interpellé par son enseignant par le biais de l’injonction « Fais vite  » qui peut être considérée comme un taxème de position haute dans la mesure où celle-ci n’émane logiquement que d’une personne occupant hiérarchiquement une position haute. Aussitôt l’élève exécute l’ordre magistral et en cours de lecture commet une erreur de prononciation ce qui a poussé l’élève (3) à corriger le mot « tauromachique » sans demander la permission du professeur qui l’a vite apostrophé par le biais du « hé » interpellatif répété deux fois dans le but « d’instaurer […] un face à face immédiat et direct […] orienté du côté du duel que du duo » (Détrie, 2010), ce qui procure à cette interpellation une dimension agonale dans la mesure où le professeur hausse le ton ce qui peut être considéré comme signe avant-coureur d’une montée en tension de violence (Moïse et al, 2008). En effet, cette interpellation est vite suivie d’un énoncé exprimant une interdiction « tu n’as pas le droit de lui corriger (la faute) » auquel il oppose tout de suite un « je suis là pour (la) lui corriger » pour dire indirectement à l’élève qu’il vient de transgresser aussi bien la norme scolaire que le territoire de son enseignant étant donné que la correction d’éventuelles erreurs reste son apanage à moins qu’il cède ce droit à un élève quelconque. Ces deux énoncés sont vite consolidés par un troisième « tu es un élève comme elle /d’accord / bien » qui rappelle explicitement à l’élève son statut et implicitement la position basse qu’il doit occuper. En somme, nous pouvons dire que « la parole de l’enseignant en classe prend la forme d’une parole publique, à la fois par son volume sonore et les postures qui la sous-tendent ou soutiennent » (Cortier, 2008) et elle est motivée par l’enjeu de pouvoir et vise en définitive deux objectifs. Le premier consiste à rétablir le rapport de place qui vient d’être renversé intentionnellement ou non par l’élève. Le deuxième objectif recherché par l’enseignant c’est d’exercer son emprise psychologique sur l’élève ayant transgressé les règles de conduites de l’espace classe, ce qui l’inscrit dans le cadre de la violence verbale. Cette séquence illustre bien que l’espace classe est régi par un ensemble de droits, de devoirs, d’attentes, de règles et de normes.

 Or, droits, devoirs, attentes, règles, ou normes sont des concepts qui peuvent être compris dans l’abstrait de manière consensuelle, mais qui sont fondamentalement conflictuels : aussitôt que le spectateur et l’acteur ne voient pas leur image respective de la même façon, les attentes sont déçues, les droits bafoués, les devoirs non respectés. (Vincent, 2013 :50)

2.2 L’enjeu des faces

Définie comme étant « la valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement à travers la ligne d’action que les autres supposent qu’elle a adoptée au cours d’un contact particulier » (Goffman, 1974 : 9), la face constitue un enjeu majeur pour les acteurs de la vie de classe. Or, même si cet enjeu n’est pas patent dans la mesure où il est tacitement enfoui dans les enjeux d’apprentissage, il demeure incontestablement l’enjeu le plus présent dans chaque interaction et en particulier l’interaction pédago-didactique étant donné que « l’acte de communication peut être envisagé comme un moment où l’on actualise et engage cette image de soi qui nous représente, qu’on accepte difficilement de remettre en question et qu’on désire voir reconnaître et entériner par autrui » (Marc et Picard, 2008 : 89). Etant un élément constitutif de l’identité sociale d’un individu, la face revêt un caractère sacré d’où le recours à la violence verbale pour la protéger en cas de risque, étant donné que sa perte est synonyme d’une défaite symbolique voire d’humiliation surtout en situation de classe où la présence du public (les élèves) est un facteur plus que déterminant en cas de joute verbale comme on le voit bien dans l’exemple suivant :

(Pendant sa prise de parole, l’enseignant constate qu’un élève mâche un chewing-gum)
Prof : […] lorsque tu mâches le chewing-gum en classe je suis pas d’accord avec toi/je peux même te qualifier d’un ruminant je l’ai déjà dit
E : xxx
Prof : Oui/c’est la même chose / qui mange en classe qui mange en classe // un mangeur toi/un boulimique / t’es un boulimique / un gourmand / oui / pourtant tu parais très chétif / très chétif élancé euh / tu n’es pas gros / ah […]

Dans l’extrait ci-dessus, nous remarquons bien comment le comportement d’un élève (le fait de mâcher un chewing-gum en classe) lequel relève de l’incivilité voire de l’irrespect provoque une réaction violente de son enseignant. En effet, dès que le professeur voit ce comportement qui porte atteinte à sa face positive, il décide aussitôt d’arrêter son cours et d’interpeller immédiatement l’élève concerné. Il lui exprime ouvertement son opposition voire son désaccord dans un registre qui relève de l’oral: « lorsque tu mâches le chewing-gum en classe je suis pas d’accord avec toi », s’ensuit un énoncé à valeur d’insulte : « je peux même te qualifier d’un ruminant ». En effet, par le biais du verbe de modalité « pouvoir », l’enseignant se donne le droit voire même le pouvoir d’imposer une certaine catégorisation à son élève en le ramenant au rang de l’animal donc lui dénie l’appartenance à l’espèce humaine ce qui semble être une condamnation du faire et de l’être à la fois (Vincent et Moïse, 2013) mais surtout une tentative de mise à mort symbolique (Oger, 2012) du destinataire afin de mettre un terme à son comportement puisqu’il n’est pas à sa première fois et cela se déduit de l’énoncé qui suit cette insulte : « je l’ai déjà dit ». Par conséquent, nous pouvons dire à la suite de Vincent (2013:52) que :

L’insulte comme tout acte de déclassement ou de dévalorisation d’autrui, permet à l’énonciateur de proclamer sa position haute, et corollairement la position basse de l’adversaire, positions qui devraient de surcroit se maintenir dans le temps. Car la position basse s’inscrit dans une dynamique de subordination comme la position haute impose une dynamique d’emprise et de contrôle sur autrui.

Par cette réaction violente, l’enseignant veut signifier à son élève qu’il vient de commettre un comportement condamnable donc inadmissible dans la mesure où il transgresse les règles voire les normes régissant l’espace classe entre autres le non respect de son enseignant. L’on peut dire donc avec Goffman que :

L’individu a généralement une réponse émotionnelle immédiate à la face que lui fait porter un contact avec les autres : il la soigne ; il s’y « attache ». Si la rencontre confirme une image de lui-même qu’il tient pour assurée, cela la laisse assez indifférente. Si les événements lui font porter une face plus favorable qu’il ne l’espérait, il « se sent bien ». Si ses vœux habituels ne sont pas comblés, on s’attend à ce qu’il se sente « mal » ou « blessé » (Goffman, 1974 : 10).

2.3 L’enjeu d’influence

Etant donné que « toute parole est nécessairement argumentative » (Plantin, 1996 :18), Celle-ci implique la mise en œuvre de stratégies argumentatives se basant sur des moyens verbaux programmés ou spontanés (Amossy, 2012) se dotant d’une force de persuasion ou tout simplement d’un pouvoir d’influence. En effet dans le cadre d’une interaction de classe, nous avons remarqué que dans les situations conflictuelles voire de violence, les différentes stratégies déployées visent en particulier l’influence du public d’élèves. Pour illustrer nos propos, reprenons l’exemple supra :

E : xxx (inaudible)
Prof : Oui/c’est la même chose / qui mange en classe qui mange en classe // un mangeur toi/un boulimique / t’es un boulimique / un gourmand / oui / pourtant tu parais très chétif / très chétif élancé euh / tu n’es pas gros / ah […]

Après la réponse de l’élève, l’enseignant opte pour un registre relevant de l’axiologie négative véhiculé par des procédés d’accumulation. En effet, avec la répétition « qui mange en classe qui mange en classe » l’enseignant veut condamner le « faire » alors que le recours à l’énumération et la reformulation « un mangeur toi/un boulimique / t’es un boulimique / un gourmand » vise essentiellement la disqualification de l’être (l’élève) et cela dans le but de lui faire perdre la face devant ses camarades de classe surtout quand il termine « son entreprise de démolition » par :« pourtant tu parais très chétif/ très chétif élancé/ tu n’es pas gros » pour créer chez les élèves l’image d’un être contradictoire.

En ayant recours au « stratagème énonciatif » qui est le trope communicationnel,(Kerbrat-Orecchioni, 1986 :131) l’enseignant adresse ses propos en apparence à son élève alors qu’en réalité il vise essentiellement le public d’élèves tout en cherchant un effet double :« D’une part, elle peut convaincre que la cible est fautive à plusieurs titres et d’autre part, elle permet d’atteindre un plus grand nombre de récepteurs suivant le principe qui veut que si un individu n’est pas convaincu de la pertinence d’une attaque, il le sera peut-être par une autre » (Laforest, Vincent &Turbide : 2009). L’on peut dire donc que l’enseignant a eu recours intentionnellement aux procédés d’accumulation afin de destituer son élève et tente par cette stratégie de ramener le public d’élèves, en partageant avec lui cette « colère juste », à valider ces qualifications péjoratives et à prendre position et conséquemment se mettre de son côté et cela dans le but de former une coalition contre cette élève récalcitrant comme le signalent bien Vincent et Barbeau (2012) :

 Toute disqualification devant un tiers a comme visée de le persuader d’adhérer à la thèse implicite de la validité de la qualification péjorative, ce qui se manifeste, sur le plan perlocutoire, de deux manières : persuader de haïr (faire adhérer à la disqualification d’autrui) et persuader d’agir (faire poser une action conséquente avec l’adhésion à la disqualification d’autrui.

L’on peut dire donc que la recherche d’éventuels alliés en ayant recours à des procédés persuasifs mais également à un lexique qui relève de la dépréciation voire de la violence verbale est motivée par le souci de l’enseignant de former un bloc avec les élèves susceptible d’exercer une pression suffisamment forte sur cet élève pour le forcer à demander des excuses ou le pousser à ne plus récidiver, ce qui est synonyme d’une neutralisation bien calculée, ou du moins, annihiler éventuellement tout comportement offensif susceptible de créer un désordre au niveau de la hiérarchie institutionnelle ce qui aura certainement des conséquences désastreuses sur la vie de classe. En somme, « la violence verbale […] installe un rapport de force entre deux clans et se concrétise dans des paroles porteuses de conséquences en ce qu’elles visent à neutraliser autrui et parfois à le faire haïr par une cohorte de supporters du clan de l’agresseur » (Vincent, 2013 :50).

En somme, l’analyse a bien démontré que la manifestation de la violence verbale dans l’interaction de classe est parfois motivée par l’enjeu d’influence d’où le recours à l’argumentation qui « […] se construit à partir de la mise en œuvre des moyens qu’offre le langage au niveau des choix lexicaux, des modalités d’énonciation, des enchaînements d’énoncés […] des marques d’implicite… » (Amossy, 2012 : 40).

3. Les enjeux opératoires

D’emblée, il faut dire que les enjeux opératoires (d’apprentissage) représentent la finalité première de toute interaction pédago-didactique. En d’autres termes, la relation enseignant /apprenant (élève) ne doit son existence que pour réaliser ces objectifs d’apprentissage. Étant détenteur d’un savoir, l’enseignant est tenu de transmettre ce dernier à l’apprenant par le biais d’activités rendant son assimilation plus facile donc plus accessible. L’élève, quant à lui, est tenu de faciliter la tâche à l’enseignant afin d’atteindre son objectif. Cette relation enseignant/apprenant s’articule sur la notion de contrat didactique qui renvoie à un ensemble de contraintes et d’attentes mutuelles. Par ailleurs, toute atteinte à ce contrat contraindrait la réalisation des enjeux d’apprentissage, ce qui est susceptible de générer une situation de tension voire de violence verbale. En voici l’exemple :

(L’enseignant pose une question et une élève se retourne)
[…]
Prof : Pourquoi tu t’retournes//oui/Qu’est c’qu’elle t’a demandé/
E 1 : xxx (inaudible)
Prof : Comment/qu’est c’qu’tu veux mad’moiselle
E 1 : Rien
Prof : Comment ça rien/tu t’retournes et tu dis//
E (?) : xx (inaudible)
Prof : Tiens-toi correctement (ton irrité) arrange-toi/c’est la dernière fois qu’tu t’retournes/
E 1 : Oui sans problème

Dans l’extrait supra, l’on voit bien comment l’enseignant réagit rapidement au comportement d’une élève qui s’est retournée pour parler avec sa camarade de classe au moment même où il pose une question. En effet, par son comportement, cette élève vient intentionnellement ou non d’éprouver un manque d’intérêt à la parole de l’enseignant tout en empêchant sa camarade d’entendre la question posée, ce qui va à l’encontre du contrat de parole qui assure le cadrage des rôles discursifs dans le but d’assurer une certaine harmonie voire une certaine coopération dans les échanges de classe entre enseignant et apprenants. L’enseignant a aussitôt interpellé cette élève en l’interrogeant sur les raisons de ce geste « anti-pédagogique » : « qu’est c’qu’tu veux mad’moiselle ». La réponse négative « rien » de l’élève n’était pas du goût de l’enseignant qui la considère comme une provocation dans la mesure où elle n’a pas réellement répondu à sa question. Bref, la tension monte et l’enseignant décide de lui adresser deux injonctions successives à savoir : « tiens-toi correctement » et « arrange-toi » lancées sur un ton irrité voire provocateur et brandit même une menace synonyme d’un rappel à l’ordre : « c’est la dernière fois qu’tu t’retournes » à laquelle l’élève finit par répondre par un « oui sans problème ». L’on voit donc comment l’enseignant use de son pouvoir procuré par le contrat didactique pour annihiler tout comportement susceptible de perturber les activités d’apprentissage qu’il initie et recourt même au langage de la violence par le biais d’actes de langages injonctifs menaçant la face du destinataire. De plus, nous pouvons considérer que les actes de langage adressé individuellement peuvent être entendus collectivement comme le signale bien Bouchard (2005) :

Ajoutons que même si ces interventions sont à visée individuelle, il n’est pas mauvais que les autres élèves les entendent dans la mesure où elles rappellent des règles de la vie commune, valables pour tous. On pourrait parler de métonymie conversationnelle (ce qui est adressé à une partie de l’assistance vaut aussi pour la totalité de cette assistance).

L’on voit donc comment les enjeux cognitifs inhérents à l’apprentissage pèsent de tout leur poids sur les participants à l’interaction de classe. Par conséquent, tout recours de l’enseignant à la violence verbale même destinée à un seul élève implique indirectement tous les autres élèves étant donné qu’ils sont des participants ratifiés et sont contraints de se soumettre aux règles du jeu régissant cet espace normé.

Conclusion

Étant régie par la norme institutionnelle, l’interaction de classe est parfois traversée par des conflits qui dégénèrent en violence verbale. Le recours à cette dernière s’est avéré motivé par des enjeux de pouvoir, de face, d’influence mais aussi des enjeux opératoires. Autrement dit, loin d’être aléatoire, la violence verbale s’actualise en discours dans l’interaction de classe dès lors où se joue la dialectique du même et de l’autre par le biais de moyens langagiers voire de stratégies visant essentiellement la domination de l’autre et la prise de l’avantage.

Conventions de transcription 

- Les pauses selon leur durée, sont marquées par /, ou //, ou encore ///

- Un mot incompréhensible est noté par x, un passage plus long xxx

- (rire) commentaire

- Les paroles simultanées sont soulignées

- Chute d’un son est marquée par ’

- Troncation d’un passage est indiquée par […]

- E : Elève

- Prof : Enseignant

Flahaut, F. (1978), La parole intermédiaire, Paris, Seuil.

1 Ce groupe de recherche a mis au jour une typologie de la violence verbale : 1) la violence fulgurante, 2) la violence polémique et la violence

Bibliographie

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Moïse, C, Auger, N et al (éds) (2008). La violence verbale. Espace politique et médiatique, t.1, Paris, L’Harmattan, 2008a.

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Plantin C. (1996), L’Argumentation, coll. Mémo, Paris, Seuil.

Vincent D. (2013), « L’agression verbale comme mode d’acquisition d’un capital symbolique », in Béatrice F ; Moïse C et al (éds), Violence verbales. Analyse, enjeux et perspectives, Coll. « Des perspectives », Rennes, PUR.

Vincent, D & Bernard Barbeau, G. (2012), « Insulte, disqualification, persuasion et tropes communicationnels : à qui l’insulte profite-t-elle ? », Argumentation et Analyse du Discours, [En ligne], URL : http://aad.revues.org/1252

1 Ce groupe de recherche a mis au jour une typologie de la violence verbale : 1) la violence fulgurante, 2) la violence polémique et la violence détournée. Pour plus de détail voir le site : www.violenceverbale.fr

Hocine Youcef

Université de Bouira

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