La théorie historico-culturelle et la didactique professionnelle : Quelles articulations et quels apports ?

النظرية التاريخية والثقافية والتربية المهنية: ما هي المفاصل والمساهمات؟

Cultural-historical theory and professional didactics: What links and contributions?

Moussaoui Nassima

p. 41-52

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Moussaoui Nassima, « La théorie historico-culturelle et la didactique professionnelle : Quelles articulations et quels apports ? », Aleph, 8 (2) | 2021, 41-52.

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Moussaoui Nassima, « La théorie historico-culturelle et la didactique professionnelle : Quelles articulations et quels apports ? », Aleph [En ligne], 8 (2) | 2021, mis en ligne le 25 février 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : https://aleph.edinum.org/3459

Les rapports aux autres, la médiation, les interactions semblent faire l’unanimité dans tous les champs de la connaissance et plus précisément dans le champ qui nous interpelle et dans lequel nous nous inscrivons : le champ éducatif. En effet, dans une ère de globalisation, d’abolition des frontières, le repli sur soi, la mise à l’écart voire l’absence de communication et, ce faisant, de socialisation ne peuvent continuer à caractériser les rapports humains. La dimension « socio » prend, dès lors, toute sa signification : nous apprenons avec autrui, grâce à autrui. Cette ouverture et ce mouvement vers l’Autre, vers le groupe social nous a amenée à nous inscrire dans les travaux de Vygotsky (1897/ 1934) qui a consacré à la médiation avec autrui et aux interactions avec le groupe social la majorité de son œuvre. Dans cet article, nous allons présenter l’approche historico-culturelle, nous montrerons ensuite les apports de la théorie de Vygotsky à la didactique professionnelle et, ce faisant, à la formation continue et initiale de enseignants.

العلاقات مع الآخرين والوساطة والتفاعلات تبدو إجماعية في جميع مجالات المعرفة وبشكل أكثر دقة في المجال الذي يتحدىنا والذي نحن جزء فيه: المجال التعليمي. في الواقع ، في عصر العولمة ، فإن إلغاء الحدود ، والانسحاب إلى الذات ، والإقصاء أو حتى غياب التواصل ، وبالتالي ، التنشئة الاجتماعية لا يمكن أن تستمر في تمييز العلاقات الإنسانية. لذلك يكتسب البعد "الاجتماعي" أهميته الكاملة: نتعلم مع الآخرين ، بفضل الآخرين. قادنا هذا الانفتاح والحركة نحو الآخر ، نحو المجموعة الاجتماعية إلى الاشتراك في أعمال فيجوتسكي (1897/1934) الذي كرس معظم عمله للتوسط مع الآخرين وللتفاعل مع المجموعة الاجتماعية. في هذه المقالة ، سنقدم النهج التاريخي الثقافي ، ثم نعرض مساهمات نظرية فيجوتسكي في التعليم المهني ، وبذلك ، في التدريب المستمر والأولي للمعلمين.

Relationships with others, mediation, interactions seem to be unanimous in all fields of knowledge and more precisely in the field that challenges us and in which we are part: the educational field. Indeed, in an era of globalization, the abolition of borders, withdrawal into oneself, exclusion or even the absence of communication and, in so doing, of socialization cannot continue to characterize human relationships. The “socio” dimension therefore takes on its full significance, we learn with others, thanks to others, this openness and this movement towards the Other, towards the social group has led us to subscribe to the work of Vygotsky (1897 / 1934) who devoted the majority of his work to mediation with others and interactions with the social group. In this article, we will present the historical-cultural approach, we will then show the contributions of Vygotsky's theory to professional didactics and, in doing so, to the continuing professional didactics and, in doing so, to the in-service and initial training of teachers.

Introduction

Nous allons, dans cet article, présenter les fondements de l’approche historico-culturelle en mettant en exergue la dimension « socio » et son importance dans l’apprentissage et le développement des sujets quels qu’ils soient enfants, apprenants ou adultes. Nous consacrerons, ensuite, notre réflexion aux apports de la théorie historico-culturelle à la formation professionnelle des enseignants et plus précisément aux apports des travaux de Vygotsy à la didactique professionnelle.

1. Les fondements de l’approche historico-culturelle

1.1. Qui est Vygotsky (Orcha /1896 - Moscow/1934)

Bien que décédé prématurément (à l’âge de 34 ans), Lev Sémenovitch Vygotsky (1896/1934) qualifié de « grand intellectuel » par Vergnaud (2000 : 5) a laissé une œuvre de six volumes dans laquelle il s’intéressa à l’art, au théâtre, à la poésie, à la littérature et notamment à la psychologie et la pédagogie des enfants handicapés.

Ses travaux sur le développement cognitif des enfants l’ont propulsé et ont marqué la psychologie scientifique. Toutefois, les rapports houleux qu’il entretenait depuis 1931 avec le parti communiste ont largement contribué à sa mise à l’écart de la vie intellectuelle en URSS. Ces critiques souvent « bêtes, méchantes et dogmatiques », Ibid :9) ont eu pour conséquence la suppression des revues de psychologie et « la mise à l’index de l’œuvre de Vygotsky » pendant une vingtaine d’année.

Vygotsky maitrise et pratique plusieurs langues étrangères. Cette connaissance des langues étrangères lui a permis une ouverture sur la vie intellectuelle occidentale et une connaissance approfondie de nombreux auteurs tels que Freud, Durkheim, Janet, Koffka, Piaget, Marx, Hegel et Spinoza. Il fonde en 1924, la théorie historico-culturelle qui domina alors la psychologie avant de subir la censure Stalinienne. Ce n’est qu’avec la mort de Staline que les travaux du psychologue russe furent réhabilités et traduits en anglais, au début des années soixante, et en français en 1986. La psychologie scientifique russe connut alors un essor et une ouverture qui se concrétisa avec la tenue du Congrès international de psychologie à Moscow en 1966.

1.2. La théorie historico culturelle 

Selon Vygotsky, les caractéristiques psychiques d’un individu ne sont pas uniquement déterminées, influencées par des facteurs biologiques relevant de l’inné et de l’hérédité, elles sont, aussi et surtout, influencées par la société et la culture dans laquelle évolue, baigne ce même individu. Vygotsky soutient que l’enfant se développe grâce aux outils, aux moyens qu’il prélève de son environnement social, il soutient également que l’apprentissage se fait d’abord avec et grâce à un médiateur et au fur et à mesure que l’enfant apprend, il intériorise ce qu’il a appris et acquiert, ce faisant, une autonomie qui se réalise grâce à l’intériorisation des objets d’apprentissage. La pensée va, selon Vygotsky du social (niveau interpsychique) à l’individuel (niveau intrapsychique).

Contrairement à Piaget qui soutient la thèse inverse - celle qui privilégie le processus intrapsychique- Vygotsky dit que

« chaque fonction apparaît deux fois ou à deux niveaux, dans le développement culturel (c’est-à-dire supérieur) de l’enfant. D’abord, elle apparaît au niveau social, ensuite au niveau psychologique. D’abord, elle se manifeste au niveau interpersonnel en tant que catégorie interpsychologique, ensuite au niveau de l’enfant en tant que catégorie intrapsychologique. Il en va de même de l’attention volontaire, de la mémoire logique, de la formation des concepts et du développement de la volonté ». (Vygotsky 1934 : 163).

Les interactions avec le groupe social structurent les facultés cognitives du sujet. Pour Vygotsky, la médiation avec autrui joue un rôle capital dans le développement du sujet, cette médiation, par l’entremise d’un adulte ou d’un pair, joue un rôle important. Contrairement à Piaget (1896/1980) selon lequel, le milieu social ne joue aucun rôle dans le développement de la petite enfance (c’est là que résident l’intérêt et l’engouement pour les travaux de Vygotsky), Vygotsky soutient que les interactions sociales jouent un rôle capital dès la naissance, il affirme que « le nourrisson est un être social par excellence ». (1934 : 185) Vandenplas compare l’enfant piagétien à l’enfant vygotskien, et dit

« l’enfant piagétien est un sujet épistémique désinséré de ses milieux de vie, qui construit sa connaissance seul par le jeu des processus de l’assimilation et de l’accommodation, reposant sur la maturation et induit par l’activité spontanément entreprise par l’enfant pour explorer son environnement. L’enfant Vygotskien est au contraire inséré dans sa culture et guidé lorsqu’il s’approprie celle-ci. » ( Vandenplas 2006 : 195)

1.3. Culture populaire et culture savante

Rendant hommage aux travaux de son maître en psychologie et en sciences humaines, Léontiev (1976), dit à propos de la théorie historico- culturelle :

« Vygotski a introduit dans la recherche psychologique concrète l’idée de l’historicité de la nature du psychisme humain et celle du réaménagement des mécanismes naturels des processus psychiques au cours de l’évolution socio-historique et ontogénétique. Vygotski interprétait ce réaménagement comme le résultat nécessaire de l’appropriation par l’homme des produits de la culture humaine au cours de ses contacts avec ses semblables. » (Cité par Zinchenko 2009 : 26)

Nous constatons que Vygotsky accorde beaucoup d’importance à l’histoire, une histoire appréhendée selon deux approches :

  • une approche phylogénique, inscrite dans l’Histoire de l’humanité,

  • une approche ontogénique, inscrite dans l’histoire du développement d’un individu, une histoire individuelle.

1.3.1. Le développement phylogénique

En tant que psychologue, Vysotsky s’intéresse à l’histoire personnelle de l’individu, et conséquemment, à son développement en inscrivant celui-ci dans un processus plus large, dans un processus historique, social et culturel impliquant l’humanité. Il introduit une rupture en envisageant une troisième approche en psychologie, une approche qui réconcilie les différentes tendances en psychologie de l’époque, nous rejoignons, de ce fait, Vandenplas lorsqu’elle dit à propos de la psychologie de Vygotsky

« Face à la psychologie compréhensive et introspectionniste d’une part, d’autre part face à la nouvelle psychologie objective que constituent la réflexologie russe et le béhaviorisme américain, Vygotsky se propose de tracer une troisième voie qui unifierait les différents courants de la psychologie ». ( Vandenplas 2006 : 195)

Selon Vysotsky, la phylogenèse emprunte deux voies :

  • une voie naturelle liée au développement biologique ;

  • une voie culturelle liée aux structures artificielles créées par l’homme et envisagées en tant que manifestation d’une culture (les artéfacts).

Vygotsky soutient l’idée que le comportement de l’homme est, certes, déterminé par son patrimoine génétique qu’il qualifie de « processus psychologiques inférieurs ». Toutefois, ce comportement est également déterminé par les interactions avec le groupe social, avec l’Histoire et avec la culture. Ces interactions relèvent de « processus psychologiques supérieurs » que Vygotsky qualifie d’instrumentaux. C’est grâce à ces instruments ou outils (le langage à titre d’exemple) que l’homme agit sur l’environnement et le transforme.

« L’outil, au sens où l’entend Vygotsky, est donc un instrument de médiation que l’homme interpose entre lui et la nature pour transformer celle-ci et, ce faisant, se transformer lui-même. Ces instruments de médiation, typiquement humains, vont favoriser l’émergence des fonctions psychologiques supérieures (la mémoire…), permettant ainsi à l’homme d’augmenter le contrôle de son psychisme. Le fonctionnement mental d’un individu est donc fortement influencé par le contexte culturel dans lequel il vit ». ( Vause 2010 : 9)

1.3.2. Le développement ontogénique 

Les études qu’il a consacrées au développement des enfants et plus particulièrement aux enfants sourds et muets témoignent de l’importance accordée par Vygotsky au développement individuel de l’enfant. En somme, ces travaux ne s’éloignent pas des travaux menés par les psychologues de l’époque. Toutefois, l’originalité du psychologue russe réside dans le fait que le développement ontogénique marche de pair avec le développement phylogénique. Le fondement, la base du développement est le patrimoine génétique, biologique donc individuel, mais celui-ci est vite rattrapé par l’Histoire, la culture, le groupe social dans lesquels vit et se développe le sujet. Nous comprenons mieux l’influence de la théorie marxiste, car

« Vygotsky développe l’image d’un être rationnel, prenant le contrôle sur sa vie et s’émancipant des limites restrictives liées à la nature. Cette émancipation est rendue possible grâce au processus de médiation ; médiations à la fois instrumentales (médiation par les outils culturels) et formatives (médiation par les pairs) qui donnent naissance aux fonctions psychiques supérieures ». A. Vause (2010 : 10)

1.3.3. Comment expliquer les dimensions historique et culturelle dans la théorie de Vygotsky

Selon Vygotsky, l’enfant apprend grâce aux interactions avec le groupe social, celui-ci est porteur d’histoire et de culture. Il met en avant la culture dans l’apprentissage et considère l’homme comme un acteur social et culturel :

  1. historique, car la culture est inscrite dans un processus historique : c’est la société qui produit, élabore et façonne la culture ;

  2. culturel, car chaque société, chaque sujet se développe en s’imprégnant de la culture.
    Selon lui, il existe deux cultures :

  • populaire : celle que l’enfant acquiert d’abord dans son milieu familial,

  • savante : celle que l’enfant apprend à l’école.

1.4. La zone proximale de développement.

La médiation, les interactions avec l’adulte sont circonscrites dans un espace, appelé par Vygotsky zone proximale de développement (ZDP). C’est un espace qui délimite ce que l’enfant est capable de produire seul et ce qu’il est capable de produire avec l’aide d’un adulte. Elle se situe entre le niveau actuel de l’enfant et son niveau potentiel.

C’est la zone où se situe l’apprentissage, car celui-ci est déterminé par les connaissances antérieures de l’enfant donc son niveau actuel, ce qu’il sait déjà faire et ce qu’il doit apprendre à faire (son niveau potentiel) avec l’aide d’un adulte. LA ZPD permet donc de mesurer ce que l’enfant sait faire avec l’aide d’un adulte et ce qu’il sait faire seul, car

« la possibilité plus ou moins grande qu’a l’enfant de passer de ce qu’il sait faire tout seul à ce qu’il sait faire en collaboration avec quelqu’un est le symptôme qui caractérise la dynamique de son développement et de la réussite de son activité intellectuelle. Elle coïncide avec sa zone proximale de développement ». (Vygotski 1934 : 353)

Le concept de zone proximale de développement permet à Vygotsky d’insister sur l’importance du groupe social dans le développement intellectuel de l’enfant, car

« outre sa portée théorique et dans la conception socioculturelle du développement, l’enfant ne saurait être considéré comme isolé de son environnement socioculturel, sur le modèle d’un Robinson Crusoë - enfant. Ses liens avec autrui font partie de sa nature même. De la sorte, ni le développement de l’enfant, ni le diagnostic de ses aptitudes, ni son éducation ne peuvent être analysés si l’on ignore ses liens sociaux. » (Ivic 2000 : 11)

1.5. L’importance du langage

Qui dit apprentissage dit transformation des représentations, évolution et enrichissement des structures cognitives des enfants, car il ne s’agit pas pour les enseignants de se limiter à ce que sait déjà l’apprenant, mais à utiliser ce qu’il sait (son niveau actuel) comme point d’ancrage afin de construire d’autres connaissances plus complexes. Cette médiation avec l’adulte ne peut avoir lieu sans un outil, outil sans lequel la dimension « socio » s’avère plus que problématique : le langage.

C’est grâce au langage que la médiation avec autrui, les rapports « socio » et les interactions sont possibles. Ces interactions permettent la construction des connaissances et par là l’apprentissage qui n’est autre

« que le processus de construction en commun au cours d’activités partagées par l’enfant et l’adulte, c’est-à-dire dans une interaction sociale. Au cours de cette collaboration, l’adulte introduit le langage qui, appuyé sur la communication préverbale, apparaît au commencement comme un outil de communication et d’interaction sociale ». ( Ivic 2000 : 5)

2. Approche historico culturelle et didactique professionnelle

2.1. Sur la didactique professionnelle

Dans notre recherche doctorale, nous nous sommes intéressée aux compétences professionnelles des enseignants de langue française du cycle secondaire en Algérie. Pour ce faire, nous nous sommes inscrit dans le cadre conceptuel de la didactique professionnelle, une didactique qui prône le développement des compétences professionnelles au moment même de la réalisation de la tâche, et notamment à travers l’analyse de l’activité, l’activité qui relève du travail réel, quant à la tâche, elle, relève du travail prescrit. (Clot, 1999-2008), Leplat (1989, 1991). La didactique professionnelle est née donc

« de la rencontre de deux champs théorique et d’un champ de pratique. Le premier champ théorique est l’ergonomie cognitive, qui a fourni à la didactique professionnelle ses concepts et ses méthodes d’analyse du travail, même si cette dernière a été amenée à retravailler et reconfigurer cet apport. Le second champ théorique est la didactique, qui en France est une didactique des disciplines, et qui a transmis à la didactique professionnelle une double préoccupation : épistémologique (quels sont les concepts centraux qui organisent le champ ?) et développementale (analyser l’activité professionnelle aussi dans sa dimension diachronique). Le champ de pratiques est celui de l’enseignement professionnel et de la formation professionnelle continue, avec la question de l’acquisition des compétences, de la transmission et du développement des compétences professionnelles : comment celles-ci s’acquièrent-elles et se développent-elles ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour les “enseigner” ou les transmettre plus efficacement ». ( Pastré 2004 : 3)

Les fondateurs de la didactique professionnelle se sont donc inspirés des concepts inhérents à la psychologie du développement grâce aux travaux de Piaget (1959, 1974, 1979) et de Vygotsky (1934/1986). La théorie du schème (relancée par les travaux de Vergnaud), la notion de conceptualisation dans l’action ont permis aux tenants de la didactique professionnelle d’analyser l’activité professionnelle in situ et, ce faisant, d’accorder une attention particulière aux situations de travail qui deviennent l’espace-temps par excellence du développement des compétences professionnelles.

2.2. L’analyse de l’activité dans la zone proximale de développement

Arrêtons-nous aux apports des travaux de Vygotsky à la didactique professionnelle et plus particulièrement à l’importance du langage dans le développement des compétences professionnelles par le biais du processus de verbalisation.

L’importance accordée au langage par Vygotsky va interpeller les fondateurs de la didactique professionnelle, car celui-ci est considéré comme un outil socio-historico-culturel par le psychologue russe. Le langage est considéré comme un outil au service du développement de la pensée. Dans un cadre de formation professionnelle, le langage permet les échanges entre les pairs d’une part et les échanges entre le formateur ou le tuteur d’autre part. Ces échanges se font dans la zone proximale de développement telle qu’initiée et développée par Vygotski.

L’analyse des activités en situation - dont la didactique professionnelle fait son fer de lance- ne peut se faire sans le recours à la verbalisation et à la mise en mots des actions mobilisées lors de l’activité. Le jugement, les impressions émis in situ permettent – grâce au langage- recul et distanciation.

Ce retour sur l’activité permet au sujet de se positionner et, ce faisant, d’enclencher un processus de conscientisation au cours duquel des régulations et des réajustements sont décidés. Ces retours sur ce qui a été réalisé permettent aux enseignants en formation de réajuster et surtout de s’exprimer donc de passer du « faire » au « dire à propos de ce faire », cette énonciation et cette verbalisation transforment

« la connaissance opérative » en « connaissance constructive ». En ce sens, Pastré soutient qu’être « compétent, ce n’est pas savoir appliquer un ensemble de connaissances à une situation, c’est savoir organiser son activité pour s’adapter aux caractéristiques de la situation, quitte à transformer, plus tard et éventuellement, cette expérience acquise en savoir énonçable et donc plus facilement transmissible ». ( Pastré 2004 : 8)

Ces jugements émis pendant les opérations de verbalisations, en raison de la dimension sociale qu’ils engagent, permettent une mutualisation et une mise en commun qui sont autant d’occasions susceptibles de voir l’émergence et/ou le développement de compétences professionnelles. Ce recours au langage dans une zone proximale de développement des compétences procure donc un espace privilégié dans lequel les compétences se développent, et ceci nous amène à insister sur l’importance des situations professionnelles sans lesquelles il s’avère impossible d’interroger les connaissances des enseignants.

Dans cette optique, l’analyse de l’activité in situ dynamise les situations de travail qui deviennent le réceptacle du déploiement et, ce faisant, du développement des compétences professionnelles, car en didactique professionnelle « une attention particulière est portée au dynamisme des compétences, à leur développement, aux processus de déstructuration/restructuration ou de déplacement auxquels elles donnent lieu ». ( Pastré 2004 : 8)

Le recours au langage pour analyser des activités est considéré par Le Clot (2008) et Roger & al (2009) comme « un travail sur le travail » ou comme un « travail au carré », car l’effort intellectuel et la charge cognitive qu’il enclenche pour analyser l’activité exigent le recours à des processus et à des procédures qui n’ont rien d’aléatoire. L’analyse de l’activité est donc envisagée comme un travail. La confrontation avec les pairs, sous l’œil vigilant d’un expert (tuteur ou formateur), est réfléchie, elle mène vers la construction de soi avec les autres. La construction de l’identité professionnelle et le développement des compétences sont sous-tendus

« par le travail enseignant qui devient une ressource pour le développement de l’activité des enseignants débutants en classe, ce travail permet d’identifier comment l’analyse de l’activité réalisée et étayée par des énoncés de règles de métier peut favoriser la réélaboration par l’enseignant débutant de règles pour agir en classe ». (Moussay & Méard 2011 : 2)

2.3. L’importance de la médiation

La mutualisation et les échanges via le langage permettent le passage du processus inter psychique au processus intrapsychique, l’enseignant confronte, compare sa pratique à celle de ses pairs grâce à la médiation du formateur. Après cette confrontation, l’enseignant se positionne et peut enclencher un processus d’internalisation pour accéder, de ce fait, à la dimension intrapsychique. En ce sens, Vause affirme :

« Nous rejoignons cette approche (historico-culturelle) et considérons, à l’instar de Vygotski, qui envisage le développement de la pensée comme l’intériorisation de la culture via la médiation des outils culturels, que le développement de la pensée des enseignants se réalise grâce à l’intériorisation de méthodes pédagogiques et de valeurs véhiculées au cours de leur enfance, de leur formation et de leur vie professionnelle ». (Vause 2010 : 17)

Force est donc de constater que Vygotski accorde une attention particulière à la médiation, celle-ci renforce la dimension « socio » de la théorie historico-culturelle, elle permet une connaissance de soi via une confrontation (positive !) avec les autres et, en conséquence, une connaissance des autres. Dans cette optique, arrêtons-nous aux propos de (Cardinet 2013) qui dit :

« la personne en situation de médiation pourra alors passer, comme l’exposent les travaux de Vygotski, des compétences interpersonnelles aux compétences intrapersonnelles, grâce à des séances construites par le médiateur. (…) Ces trois auteurs : Feuerstein, Vygotsky et Bruner, nous offrent les moyens de formaliser un processus d’interaction humaine particulièrement performant : la médiation. Elle va provoquer un double apprentissage individuel et social, car au-delà du processus cognitif, la médiation équilibre le développement en travaillant en même temps l’affectif, le social, le culturel ». (Cardinet 2013 : 13)

L’intérêt porté par les fondateurs de la didactique professionnelle aux travaux de Vygotski témoigne de l’importance que l’on devrait accorder à la formation aussi bien initiale que continue des enseignants. La formation doit s’attarder sur l’analyse de l’activité, car celle-ci est « un enjeu central en didactique professionnelle, c’est aussi une première étape de la démarche préconisée pour construire des dispositifs de développement des compétences professionnelles ». ( Pastré 2004 : 9)

Conclusion 

Dans cet article, nous avons tenté de montrer les apports de la théorie historico-culturelle à la formation des enseignants, ceci, dans le cadre conceptuel de la didactique professionnelle. Nous avons insisté sur l’un des principes fondateurs de la didactique professionnelle : le développement des compétences professionnelles dans l’action, grâce à l’analyse des situations de travail et à la clinique de l’activité. Cette analyse amène les enseignants à se distancer et à adopter une posture réflexive par l’entremise du langage et de l’interaction. L’importance accordée à l’analyse de l’activité « in situ » témoigne de l’intérêt porté par les fondateurs de la didactique professionnelle aux principes inhérents à la théorie vygotskienne : médiation, rôle du langage, verbalisation et zone proximale de développement.

Cette contribution nous a permis de mettre en exergue l’importance des travaux de Vygotsky. Encore faut-il s’en inspirer en vue de monter des dispositifs de formation inscrits dans une dynamique portée par les principes et les concepts de la théorie historico-culturelle.

L’importance qu’a accordée Vygotski aux interactions sociales nous incite à prendre en considération le milieu dans lequel a évolué et évolue le sujet qu’il soit apprenant ou enseignant. La prise en considération du milieu social des apprenants devient, de ce fait, un impératif. La culture dans laquelle baigne l’apprenant, appelée culture populaire par Vygotsky participe au développement intellectuel de l’apprenant dans la mesure où celui-ci la fait interagir avec la culture apprise à l’école : la culture savante. Le contexte social offre autant de possibilités et d’outils culturels permettant le développement des facultés intellectuelles dans la mesure où « le développement de la pensée se réalise ainsi dans un contexte de médiation sociale à travers l’appropriation d’outils initialement construits par la culture ». P. Legendre (2007 : 85)

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Moussaoui Nassima

Université Lounici Ali- Blida 2

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